Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
J’ai rejoint l’ARACT au début de l’année 2015 après avoir occupé des fonctions de management au sein de structures de conseil dans le domaine de l’orientation professionnelle, du handicap et de la prévention des risques. Psychologue du travail de formation, je me suis plus particulièrement formée au coaching et à la prévention des RPS grâce à un Diplôme Universitaire. J’ai toujours porté un grand intérêt aux questions liées à la santé au travail et aux problématiques afférentes.
Quelle situation dressez-vous aujourd’hui des RPS en France ?
Qu’il s’agisse de l’organisation du travail, des relations ou des contextes de changement, les manifestations liées aux RPS sont toujours les mêmes : burn-out, dépression, malaise, souffrance mais également détérioration des relations de travail et impact sur la qualité du travail réalisé. Si l’industrie, les services et les activités financières en étaient les premiers touchés, l'évolution numérique a changé la donne.
Longtemps épargnés par ces problématiques, des secteurs tels que la fonction publique sont aujourd’hui fortement impactés par la transformation digitale (nouvelles attentes des usagers, besoins différents des agents par rapport à leur travail) qui les obligent à repenser leur modèle. Les réformes s’accumulent sans avoir le temps d’être digérées, les organigrammes sont chamboulés, le management de plus en plus éloigné du terrain, les services restructurés, fermés ou déplacés… Autant de changements perpétuels qui mettent à mal l’équilibre des salariés, fragilisés par une incertitude devenue structurelle.
Que faire dans ces cas-là ?
Prévenir plutôt que guérir. Malheureusement, nous constatons trop souvent un manque d’accompagnement pour anticiper les risques relatifs à ces changements. La prévention des RPS devrait s’appréhender de la même manière que l’on appréhende tous les autres risques : en identifiant le plus en amont possible les situations qui exposent les salariés à des dangers, et en mettant en place des solutions relevant du bon sens : droit à la déconnexion, organisation de réunions régulières pour faire circuler l’information, apport de soutien social et managérial, mise à disposition d’un environnement de qualité, organisation exceptionnelle des réunions cadres après 18h00, etc. Cette prévention anticipée, dite “prévention primaire”, est le seul moyen de mieux armer les salariés face au risque.
D'où vient un tel manque d’accompagnement ?
Je ne crois pas que ça vienne systématiquement d’une volonté de ne pas faire les choses, mais plutôt d'une conjoncture complexe pour les entreprises : au-delà des aspects organisationnels, elles doivent apprendre à répondre aux rapides évolutions sociétales. Sans compter le fait qu’un certain nombre d'entre elles continuent d’avoir des a priori négatifs sur les RPS, perçus comme anxiogènes, d’être dans le déni ou bien de ne pas prendre la mesure des dommages associés. Multifactoriels et pernicieux, ils restent encore difficilement quantifiables…
Quelles passerelles identifiez-vous entre les RPS et la QVT ?
Ce sont deux démarches complémentaires et étroitement liées l’une à l’autre : au sein des thématiques relatives à la QVT, l’on retrouve tout ce qui a trait à la qualité de la prévention des RPS. Toutefois, la QVT relève d’une logique plus récente.
Alors qu’il y a une trentaine d’années de cela, nous étions dans une logique de réparation des dommages, nous sommes progressivement passés à une logique de prévention obligatoire pour l’entreprise. La directive cadre sur la Santé et la Sécurité au travail de 1989 a permis de poser un nouveau cadre à la prévention primaire. Depuis, le code du travail incite fortement les entreprises à investir en amont sur ces champs-là pour les placer au cœur des priorités actuelles.
Comment garantir que le démarche QVT soit bien intégrée à l’entreprise ?
Il existe en effet un écueil pour les entreprises : celui de développer des démarches QVT dites “gadget”, telles que l’installation d’un babyfoot ou des team buildings occasionnels. Si ce sont indéniablement de bonnes initiatives, elles doivent veiller à les intégrer à un ensemble cohérent validé par la Direction, porté par les RH et relayé par tous les niveaux de management. Pour cela, il est essentiel de désigner des instances motivées (comités de pilotage et groupes de travail) qui s’assurent que la démarche soit structurée en interne sur le court, moyen et long terme.
Quel rôle peut jouer l’ARACT en ce sens ?
Lorsque nous intervenons auprès des entreprises pour améliorer leurs conditions de travail (RPS, QVT mais aussi égalité professionnelle et prévention de l’usure…), nous privilégions une démarche de co-construction paritaire fondée sur un transfert de compétences et de méthodologie. Notre objectif est avant tout d’impliquer tous les acteurs de l’entreprise pour qu’ils s’approprient la démarche, gagnent en autonomie et pérennisent la démarche en interne.
Dans les démarches QVT, nous constituons un comité de pilotage puis un groupe de travail composé de salariés qui vont eux-mêmes faire des investigations, explorer les situations à risque et identifier des outils pour y remédier. Ces derniers expérimentent ensemble une nouvelle façon de procéder sur un périmètre dédié, en se donnant le droit à l’erreur. Si ça ne marche pas, les actions sont ajustées - c’est ce que l’on nomme dans notre jargon une “évaluation embarquée". Si ça marche, il s’agit alors de déployer les outils sur d’autres services et de systématiser cette logique-là dès qu’un problème se pose, qu’on veut améliorer un fonctionnement existant ou qu’un nouveau projet est envisagé.
Par ailleurs, nous animons régulièrement des ateliers pratiques. Dans le cadre de la semaine pour la Qualité de Vie au Travail organisée à travers toute la France, j’aurai le plaisir d’en animer un le 19 juin prochain pour soulever les questions suivantes : qu’entend-on derrière QVT ? Pourquoi est-il bénéfique pour la performance de l’entreprise de développer une démarche QVT ? Quels sont les enjeux sociétaux associés, les enjeux liés au marché et ceux liés au travail lui-même ? Quels outils peut-on déployer ? Autant de questions auxquelles je tâcherai de répondre avec précision pour sensibiliser le plus grand nombre à l’importance de la démarche QVT. Profitable à toutes et à tous.
Interview Nadine BOURGAUX
Chargée de mission ARACT Île-de-France - Agence Régionale pour l’amélioration des conditions de travail